Cet article sera sans doute le plus éprouvant à écrire… et à partager. Le voyage aurait pu s’arrêter là.

Ce n’est non sans difficulté que nous avons finalement réussi à quitter La Paz. Après avoir alterné entre taxi, bus, collectivo et marche, nous sommes enfin arrivés à Sajama, un parc national bolivien adulé pour ses treks.
Nous avons mis 8 heures, contre 3 heures et 30 minutes en temps normal.

À notre arrivée, c’est le dépaysement total.
Un contraste saisissant entre La Paz, mégalopole bruyante et surpeuplée, et Sajama, ce petit village planté au milieu de nulle part, au cœur du parc national.
Le décor est digne d’un western : un village quasi désert, 3 et quelques tiendas.
Ici, les tiendas font tout : épicerie, restaurant et lieu de vie. Nous en avons fait notre cantine, y rencontrant peu à peu tous les membres de la famille. Des plats simples, cuisinés maison, de la chaleur, des sourires, et cette richesse humaine incroyable qui contraste avec la pauvreté apparente.




À peine les valises posées, nous échangeons avec notre guide sur nos envies pour les jours à venir.
Au programme : les eaux thermales, et pour notre première sortie, la randonnée des Trois Lagunes.
Quant à l’ascension du mont Alcatango à 6 060 mètres, nous décidons d’attendre et de voir comment nos corps réagiront à ce premier point culminant à 5 050 mètres.

C’est de bon matin, motivés, que nous partons battre un nouveau record d’altitude.
À peine arrivés sur le site, nous contemplons l’eau bouillante et la fumée qui s’échappent des geysers, créant un spectacle coloré au milieu des montagnes.

En toile de fond, le volcan Sajama, encore actif, se dresse majestueusement, point culminant du pays à 6 545 mètres.

C’est au départ de cette randonnée que nous faisons la rencontre d’une famille venue de Nantes : un couple et leurs trois filles, eux aussi en tour du monde. Les conversations vont bon train, une question n’attend pas l’autre. Nous sommes heureux de pouvoir échanger sur nos aventures respectives.
Eux choisissent de réaliser la première partie du trek en voiture pour ménager les filles. De notre côté, nous décidons de partir à pied. C’est donc tous les 3 que nous nous lançons à l’assaut de la randonnée des Trois Lagunes.

Les paysages sont changeants et tellement différents d’un versant à l’autre : entre monts, lacs et prairies, c’est un véritable enchantement.
Mais ce matin, l’ascension est plus rude pour Célian et moi. Quelques maux de tête se font ressentir malgré les précautions prises contre le soroche, le mal d’altitude. Nous sommes fatigués, mais nous avançons, pas à pas, savourant chaque instant de ce décor grandiose.
Le froid est mordant, puis le soleil surgit soudain. Ici, en Bolivie, il faut pratiquer la technique de l’oignon : empiler les couches et les retirer au gré du climat. Depuis que nous avons quitté la famille croisée près des geysers ce matin, nous n’avons croisé personne.
Hormis, les lamas, les alpagas et quelques vizcachas, ces adorables rongeurs andins qui jouent à cache-cache et nous amusent.



Soudain, mon téléphone retentit. Je suis étonnée d’avoir encore du réseau. Et heureusement. Car cet appel sera le dernier.
Depuis plusieurs jours, papa est hospitalisé. Ma sœur et ma nièce sont à son chevet, et la situation se dégrade vite. Elles me proposent un appel en visio.
Papa est affaibli, mais chacun notre tour, nous pouvons lui dire je t’aime… et lui dire au revoir.
Nous sommes là, tous les 3, perdus au milieu du Parc national de Sajama, dans un silence absolu, à la fois pesant et précieux.
C’est dans cette immensité, face aux montagnes, que je remercie papa, mon modèle, celui qui m’a inspirée par son parcours et ses valeurs humaines. Celui qui m’a transmis tant de choses et m’a permis de devenir la femme que je suis.
Je le rassure aussi, car papa avait peur de la mort. Et je lui dis simplement : je t’aime.
Je ne veux rien regretter.
Les adieux sont les plus beaux voyages de l’amour. Christian Bobin

Quand nous nous étions vus pour la dernière fois, ce matin du 16 août, avant notre départ pour le tour du monde, papa m’avait dit Adieu. Moi, je lui avait dit au revoir. Une fois de plus, il avait raison.
C’est dans ces conditions que nous continuons notre randonnée, avec courage. Tout comme papa, qui lutte à sa manière.
Il m’accompagne dans chacun de mes pas.
Je marche pour lui. Nous marchons pour lui.
Chaque pensée, chaque souffle, chaque image est pour lui.






Plus loin, nous retrouvons la famille rencontrée le matin même. Je me confie longuement à Sophie, qui m’écoute avec une bienveillance infinie.
Elle aussi a perdu un parent, et ses mots m’apaisent.
Jusqu’à notre arrivée, elle reste à mes côtés tout comme Célian et Clément qui seront un précieux soutien aussi pour les jours à venir.
Son chauffeur accepte généreusement de nous raccompagner, mettant fin à 8 heures d’une randonnée inoubliable, à la fois physique et émotionnelle.

C’est une fois installés dans le 4×4 que le téléphone capte enfin du réseau. À la seule vue des appels manqués, ma sœur, ma mère, mon beau-frère, je comprends immédiatement.
C’est fini. Papa est libéré, délivré de toutes ses souffrances.
C’était son choix. Et il a été entendu.
Le moment est venu de rappeler ma famille. Là, dans ce 4×4, au milieu de nulle part, entourée d’une famille rencontrée seulement le matin même, j’entends la sentence que je redoutais.
Et il faut accepter.
La mort n’est rien pour celui qui a su aimer et laisser une trace dans le cœur des siens. » Sénèque
À notre arrivée à l’hôtel, la nuit est tombée. Je suis épuisée, physiquement et moralement, mais je contacte immédiatement notre assurance. Nous sommes si loin… et il est hors de question de ne pas arriver à temps pour dire adieu à papa et nous recueillir en famille.
Le réseau est instable, la communication hachée, mais je finis par être mise en relation avec une personne de l’assistance. Tout s’enchaîne très vite.
Qui rentre ? Est-ce un aller simple ? Est-ce la fin de notre rêve ? Ou un aller-retour ?
Aucun doute : nous rentrerons tous les 3. Et comme papa l’aurait voulu, nous reprendrons notre aventure ici, en Bolivie, le mois prochain.

Le surlendemain, à 5 heures du matin, par un froid glacial, nous reprenons le chemin inverse. Un premier collectivo sur la place du village, un deuxième, puis un bus pour rejoindre El Alto et son aéroport perché à plus de 4 000 mètres.
De là, un vol pour la Colombie, puis un autre vers Paris, avant de rejoindre Bordeaux, après plus de 24 heures de transport. Sans bagages à l’arrivée, mais ça, c’est une autre histoire.
Enfin, après avoir loué une voiture, nous arrivons chez maman, à temps pour les obsèques prévues le lundi.
La vie ne s’arrête pas, même en tour du monde.
Si le retour a été brutal, il m’a rappelé l’importance de réaliser ses rêves.
Papa aussi en avait. Il voulait voyager, vivre une partie de l’année en Casamance.
Mais les problèmes de santé se sont accumulés et il n’a pas pu leur donner vie.
Le temps est précieux.
Nous ne sommes que locataires sur Terre.
C’est ce qui me pousse à vivre pleinement chaque jour qui m’est offert.
Cet article, c’est ma manière à moi d’honorer mon père.
C’était il y a tout juste un an.
Et aujourd’hui encore, en écrivant ces lignes, j’ai le coeur serré.

Je vous donne rendez-vous à Sucre, la capitale de la Bolivie, pour reprendre le fil de notre itinéraire, là où la vie continue.
Un élan d’amour et d’émotions. Merci Armelle pour ce partage tout en intimité…
🙏🙏🙏
On a toujours de bonnes raisons pour renoncer à défier nos sommets. Et choisir, c’est de toute façon renoncer, en toute conscience et en accord avec ses valeurs. Sans renoncer à ton accomplissement, tu as choisi d’honorer ton père et de soutenir tes proches ( en premier lieu, ta mère) .
Ton choix n’est ni bon, ni mauvais, il est « simplement » le tien, probablement guidé par ce que ton cher papa aurait souhaité.
Au plus profond de nous, dans notre for intérieur, nous sommes reliés à ceux qui nous ont aimé, parfois au-delà du raisonnable. Nos chers parents.
Une pensée aussi pour ta petite tribu vagabonde qui t’a suivie sur cette voie.
Dans ces hauts sommets fabuleux, dans la reprise de l’ascension, quand le souffle est court, quand il fait froid y compris sur les convictions, la motivation, dans la poursuite de ce tour du monde, tu, vous avez probablement gagné le soutien d’un ange gardien. J’en est la conviction .
Pas disparu, simplement invisible….
Oui un ange gardien invisible mais présent au quotidien🙏
Que d’amour et d’émotion Armelle, quel courage tu as eu pour gérer toutes ces épreuves. J’en ai les larmes aux yeux. Ton papa repose en paix maintenant mais c’est certain qu’il marche toujours à tes côtés. Tu as fait ce qu’il fallait…et la vie continue…
Oui la vie continue avec papa et ceux qui nous ont quittés😊